Les inégalités progressent dans le monde depuis les années 1980. Les 1 % les plus riches possèdent plus que les 99 % autres. Cette tendance, violente en Amérique du Nord et en Asie, l'est moins en Europe occidentale, où l'Etat-providence joue son rôle d'amortisseur. Et pourtant, c'est en Europe que la fronde populaire semble la plus forte, à en croire les dernières élections chez nos voisins et les mouvements qui la secouent partout, comme les gilets jaunes en France.
Pourquoi ce paradoxe ?
L'explication n'est-elle qu'économique ? N'est-ce qu'une question de croissance, moins forte en Europe que dans ces régions plus prospères ? Les peuples sont-ils sensibles à la dérivée de l'économie, comme les estomacs sont sensibles à la dérivée de la vitesse lors d'accélérations prononcées ? C'est possible puisqu'il semble que la popularité des dirigeants soit directement corrélée à l'évolution du PIB. Mais ce n'est sans doute pas suffisant pour expliquer la mauvaise humeur ambiante.
Sans doute faut-il chercher des éléments de réponse dans notre histoire... L'oeuvre de Pagnol décrivait déjà deux France qui s'opposaient au début du xxe siècle : la France du progrès, portée par les instituteurs, représentant d'un État laïc soucieux de justice et d'égalité, et une France plus traditionnelle et plus rurale, qui résistait au monde en marche et s'en sentait exclue.
Deux France, deux mondes. Des révolutions.
Régulièrement, les peuples bouillonnent lorsque qu'ils se sentent laissés pour compte.
Ce fut le cas de Cuba, qui fête les 60 ans de sa révolution. En mettant fin à la dictature de Batista, Fidel Castro allait plonger le pays dans un autre totalitarisme sous la protection de l'Union soviétique, en pleine guerre froide, à quelques milles des États-Unis.
Ce fut le cas en Iran, qui célèbre les 40 ans de sa révolution. Ici, c'est un autre dictateur, le shah, qui dut prendre la fuite sous la pression des manifestants, laissant la place à l'ayatollah Khomeiny et à sa République islamique.
Ces révolutions montrent, comme d'autres, que l'économie n'est pas la seule cause de la fronde. L'homme est un être d'idées. Partout où les révolutions aboutissent, elles sont accompagnées d'un corpus d'idéaux ou d'idéologies qui cimentent l'action.
Et parfois, c'est quand les idées viennent à manquer que le peuple s'agite. Serait-ce le principal mal qui frappe notre confortable Europe ?