Wladek, Mania, Pucette, Viki et Aboue, les cinq petits protagonistes de La Gloire, voient leur vie familiale bouleversée le jour où, en face du café exploité par leur papa, s'installe un salon de thé chic, « Le Dragon », concurrent redoutable qui va bientôt leur enlever toute leur clientèle. La famille, privée de revenus, déménage dans un quartier populaire de Varsovie. Pour faire vivre sa famille, le père, après avoir cherché en vain un emploi décent, doit accepter un travail de nuit dans une boulangerie, très mal payé. La misère frappe bientôt à leur porte. Wladek doit quitter l'école et, pour apporter un peu d'argent à la maison, entre comme apprenti dans une fabrique de savon. Un jour, il rencontre Olek, un garçon de son âge qui, lui aussi, doit gagner déjà sa vie comme manutentionnaire dans un entrepôt de papier. Mais Olek a de grands projets d'avenir auxquels il associe Wladek. Pour parfaire leur instruction, les deux amis fréquentent une bibliothèque gratuite du quartier et cherchent à se faire admettre dans une école du dimanche qui dispense un enseignement gratuit aux enfants obligés de travailler. Ils vont créer, avec des garçons et filles de leur immeuble, l'Union des chevaliers d'honneur pour venir en aide aux habitants du quartier et s'épauler mutuellement pour atteindre un jour leur but : devenir célèbres. Mais les temps sont durs et leurs rêves ne pourront s'accomplir que partiellement. Ils auront pourtant la satisfaction de s'être forgé chacun, à force de volonté, un destin qui n'est pas pour leur déplaire.
Les deux livres de Colonies de vacances, Moski, Joski i Srule, en français Moïchele, Yossele et Sroule et Józki, Jaski i Franki, rendu en français par Youzek,Yanek et Franek, que nous publions ici réunis pour une toute première fois en un seul volume, ont paru d'abord en Pologne en feuilleton en 1909 dans la revue Promyk (Rayon de soleil). Ils ont été inspirés au jeune Henryk Goldszmit, alors encore étudiant en médecine puis pédiatre débutant, par son travail de moniteur dans des centres de vacances d'été organisés par Towarzystwo Kolonii Letnich (Société de Colonies d'Ete), une société philantropique soucieuse d'offrir à des enfants des quartiers pauvres de Varsovie des séjours à la campagne dont il est devenu membre dès 1900. Deux centres ont alors été ouverts à cette fin à proximité de Varsovie, l'un situé à Michalowka, destiné aux enfants juifs défavorisés, l'autre à Wilhelmowka, pour les enfants du prolétariat polonais, les deux communautés, juive et polonaise, disposant à l'époque de structures séparées pour en raison de différences confessionnelles et alimentaires. C'est d'abord à Michalowka, en 1904, que Korczak fit ses premières armes d'éducateur auprès d'un groupe d'enfants juifs, séjour qui lui a inspiré le texte de Moïshele, Yossele et Sroule. Les deux séjours suivants ont eu lieu en 1907 et 1908 à Wilhelmowka, centre de vacances pour de jeunes garçons polonais, et ont abouti au livre dont les petits héros sont porteurs de prénoms polonais typiques : Youzek,Yanek et Franek. Le contact quotidien avec ces enfants juifs et polonais issus des quartiers pauvres de Varsovie a fourni à Korczak un champ d'observations pédagoqiques précieux. Une dizaine d'années plus tard, il dira dans son célèbre,traité Comment aimer un enfant : « Je dois beaucoup aux colonies de vacances. C'est là que j'ai rencontré une collectivité d'enfants ; c'est là que j'ai appris, grâce à mes seuls efforts, l'abécédaire de la pratique éducative » (éd. Robert Laffont). C'est dès 1904, date de son premier engagement comme moniteur au centre de vacances de Michalowka qu'il commence à faire publier dans Izraelita, hebdomadaire juif, organe du milieu progressiste favorable à l'assimilation qui paraissait en polonais, de brefs textes littéraires inspirés de son expérience de moniteuréducateur débutant. Dans un de ces textes intitulé Cykierbobe (bébé-sucre), expression yiddish désigant un fiston à maman ou un petit empoté, répondant aux inquiétudes d'une maman, il écrit :
« Je mes suis fait reprocher (en privé) que les garçons dont je parle dans mes instantanés de colonies ne sont pas assez juifs, que ce ne sont que des enfants à la campagne tout court, pas les enfants juifs.
Remarque apparemment justifiée : j'ai moi-même cherché chez eux au début des traits spécifiquement juifs, mais que faire - je n'en ai pas trouvés. J'ai cherché et j'ai pas trouvé.»
Fatigué de sa vie d'adulte et découragé par les déboires de son métier, le narrateur, instituteur de son état, a la chance de revivre son enfance grâce à la lanterne magique d'un lutin qui, surgissant devant lui un soir de déprime, lui permet de redevenir le jeune garçon qu'il était. Il retrouve donc ses père et mère, son école, ses copains, mais ne perd pas pour autant la conscience du temps présent ni de son rôle d'éducateur et d'élève à la fois.
Les scènes de sa vie d'antan défi lent, comme fixées par une caméra. N'oubliant jamais l'enfant qui demeure en lui, Korczak y introduit de nombreux détails tirés de sa propre vie. Quand je redeviendrai petit, à l'instar de la plupart des ouvrages littéraires de Korczak, reflète sous une forme ludique ses principales idées pédagogiques forgées tout au long de sa pratique d'éducateur et de médecin pour qui observer et comprendre l'enfant revenait d'abord à respecter son droit à être ce qu'il est.
Johann Friedrich Herbart (1776-1841) fut un philosophe féru de pédagogie. Il contribua à faire de ce domaine une discipline d'enseignement universitaire, avec ses concepts fondamentaux : l'éducation par l'instruction, qui rencontrera un écho dans la France de la Troisième République ; la formabilité de l'enfant, à l'origine des débats contemporains sur l'éducabilité ; la formation chez les enseignants d'un sens du tact pédagogique, nom donné à la compétence professionnelle qui s'acquiert lorsque alternent théorie et pratique.
Lire Herbart, c'est d'abord retrouver un classique de la science de l'éducation, de la même envergure que Locke, Rousseau ou Dewey. C'est ensuite revenir aux fondements de la pédagogie comme savoir pratique, connaissance à la fois universitaire et de terrain, dans laquelle on ne peut se contenter de tenir un propos général sur le petit d'homme à éduquer, mais où l'on doit avant tout donner le cadre effectif d'une formation des maîtres par alternance.
Traduit et présenté par Jean-François Goubet.