Stéphane Chabert est le looser des loosers. Dans l'agence de pub qui l'emploie, il est la risée de ses collègues. On l'ignore, on le méprise. Mais un jour, il tombe sur une annonce mystérieuse qui vante les mérites d'un stage de vaudou. Stéphane Chabert décide de s'y rendre. Après tout, il n'a rien prévu ce week-end. Ni les autres week-ends d'ailleurs.
Voilà notre héros, incarné par Eric Judor, embarqué dans une série de situations plus absurdes les unes que les autres, dont Fabcaro a le secret.
Guacamole Vaudou est un roman-photo écrit par Fabcaro et joué par Eric Judor. La rencontre au sommet de deux rois de l'absurde.
« Souviens-toi, maman : nous étions tes enfants. » C.K.
C'est l'histoire d'une grande famille qui aime débattre, rire et danser, qui aime le soleil et l'été.
C'est le récit incandescent d'une femme qui ose enfin raconter ce qui a longtemps fait taire la familia grande.
Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l'attaque contre l'ennemi allemand. Les soldats s'élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d'Alfa, son ami d'enfance, son plus que frère. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s'enfuit. Lui, le paysan d'Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom. Détaché de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence, sème l'effroi. Au point d'effrayer ses camarades. Son évacuation à l'Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique, tout un monde à la fois perdu et ressuscité dont la convocation fait figure d'ultime et splendide résistance à la première boucherie de l'ère moderne.
Pendant une grande partie de sa vie ma mère a vécu dans la pauvreté et la nécessité, à l'écart de tout, écrasée et parfois même humiliée par la violence masculine. Son existence semblait délimitée pour toujours par cette double domination, la domination de classe et celle liée à sa condition de femme. Pourtant, un jour, à quarante-cinq ans, elle s'est révoltée contre cette vie, elle a fui et petit à petit elle a constitué sa liberté. Ce livre est l'histoire de cette métamorphose.
É. L.
Un jour d'août 1853, une goélette jette l'ancre dans un port californien. À la couleur de sa grand-voile, les habitants comprennent que son capitaine a réussi l'impensable : capturer la « Femme Solitaire », ultime représentante d'un peuple immémorial, abandonnée dix-huit ans plus tôt dans une île sauvage située au large de Los Angeles et Santa Barbara.
Elle parle une langue énigmatique et, contre toute attente, irradie une joie extraordinaire. Un nouveau venu dans la région, le Dr Shaw, noue avec elle un lien très fort. Pendant qu'il tente de déchiffrer sa langue, il s'interroge : qu'a-t-elle vécu dans l'île ? Les clans de la ville se reforment et menacent la survie de la Femme Solitaire. Le Dr Shaw prend fait et cause pour elle - un combat pour la vérité.
Tel est le ressort de ce magnifique roman choral fondé sur un fait divers authentique. On y retrouve la passion d'Irène Frain pour les héroïnes confrontées à l'adversité, les peuples opprimés, les langues perdues, l'océan, les horizons lointains.
Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non, rassurez-vous, ce n'est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons...
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s'abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.
La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.
J.-Cl. G.
Adélaïde vient de rompre, après des années de vie commune. Alors qu'elle s'élance sur le marché de l'amour, elle découvre avec effroi qu'avoir quarante-six ans est un puissant facteur de décote à la bourse des sentiments. Obnubilée par l'idée de rencontrer un homme et de l'épouser au plus vite, elle culpabilise de ne pas gérer sa solitude comme une vraie féministe le devrait. Entourée de ses amies elles-mêmes empêtrées dans leur crise existentielle, elle tente d'apprivoiser le célibat, tout en effectuant au mieux son travail dans une grande maison d'édition. En seconde partie de vie, une femme seule fait ce qu'elle peut. Les statistiques tournent dans sa tête et ne parlent pas en sa faveur : « Il y a plus de femmes que d'hommes, et ils meurent en premier. » À l'heure de #metoo, Chloé Delaume écrit un roman drôle, poignant, et porté par une écriture magnifique.
Il existe depuis toujours des Journaux de voyage, de rêve, de deuil, mais pas de nage. Pourtant, quoi de plus fragile et puissant, éphémère et total, sensuel et inspirant que le plaisir du bain ? En tenant le Journal de son été 2021 à Nice, Chantal Thomas innove, et poursuit l'entreprise paradoxale entamée avec Souvenirs de la marée basse, portrait de sa mère en nageuse : doter d'une mémoire ce qui, se traçant sur l'eau, se jouant dans un effet de lumière, est voué à l'effacement.
« Comme sont loin de moi par exemple les muscles de mes bras. » Cette phrase de Kafka, véritable fil conducteur, a été le déclic à partir duquel il lui a semblé essentiel, au sortir du confinement, de célébrer le chemin flottant d'un retour à soi, d'une harmonie retrouvée avec son corps et avec le monde.
Élevé dans une famille ouvrière de Picardie, Eddy ne ressemble pas aux autres enfants. Sa manière de se tenir, son élocution, sa délicatesse lui valent de nombreuses humiliations et injures, tant par ses camarades de classe que par son père alcoolique et sa mère revêche. Lui-même finit par s'interroger sur cette homosexualité dont on le taxe avant même qu'il éprouve le moindre désir. Mais la véritable persécution ne vient-elle pas du conditionnement social ? Il parviendra à s'arracher à cette chape écrasante, qui donne au récit une allure zolienne, et à imposer sa personnalité en poursuivant des études de théâtre à Amiens, loin de l'enfer familial et villageois qu'il a connu. Ce texte, psychologiquement frappant, dresse un tableau saisissant d'un monde populaire brutal et sensiblement archaïque. Mais la finesse de l'auteur, par ailleurs sociologue, resitue dans un contexte social le drame familial qui aurait pu devenir une vraie tragédie individuelle. Comment échapper à la détermination ? Comment chaque être peut-il inventer sa liberté ?
La situation critique dans laquelle se trouve la planète n'est plus à démontrer. Des effondrements sont déjà en cours tandis que d'autres s'amorcent, faisant grandir la possibilité d'un emballement global qui signifierait la fin du monde tel que nous le connaissons.
Le choix de notre génération est cornélien : soit nous attendons de subir de plein fouet la violence des cataclysmes à venir, soit, pour en éviter certains, nous prenons un virage si serré qu'il déclencherait notre propre fin-du-monde-industriel.
L'horizon se trouve désormais au-delà : imaginer la suite, tout en se préparant à vivre des années de désorganisation et d'incertitude. En toute honnêteté, qui est prêt à cela ?
Est-il possible de se remettre d'un déluge de mauvaises nouvelles ? Peut-on simplement se contenter de vouloir survivre ? Comment se projeter au-delà, voir plus grand, et trouver des manières de vivre ces effondrements ?
Dans ce deuxième opus, après Comment tout peut s'effondrer, les auteurs montrent qu'un changement de cap ouvrant à de nouveaux horizons passe nécessairement par un cheminement intérieur et par une remise en question radicale de notre vision du monde. Par-delà optimisme et pessimisme, ce sentier non-balisé part de la collapsologie et mène à ce que l'on pourrait appeler la collapsosophie...
Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle ont une (dé)formation scientifique et sont devenus chercheurs in-Terre-dépendants.
« L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique. »
« Je n'ai pas l'impression d'avoir été enfant, adolescent, homme d'âge mur, puis vieux. Je suis à la fois enfant, adolescent, homme d'âge mûr, et vieux. C'est sans doute un peu idiot. Mais ça change tout ».
Être riche, à chaque époque de notre existence, de tous les moments qu'on a vécus, qu'on vit, qu'on vivra encore : c'est cela, la vie en relief. Voir ses souvenirs et ses sensations non pas additionnés les uns aux autres, mais comme démultipliés, à l'infini. Vivre comme si c'était la première fois. Trouver de la beauté dans l'ordinaire des choses. Aimer vieillir, écouter le bruit du temps qui passe. Ce livre est un aboutissement : celui d'une carrière, celui d'une vie d'homme. Certainement un des plus grands livres de Philippe Delerm.
« Tous ces films regardés, toutes ces photos, tous ces albums, tous ces livres, non pas pour aller à New York un jour, mais un peu bizarrement pour ne pas y aller, pour préserver le secret d'une ville essentielle qui ne supporterait pas d'être tant soit peu violée par la réalité ».
Inventer sa vie, la rendre plus authentique et plus forte que la réalité, c'est la proposition que nous fait Philippe Delerm. Trouver dans les cartons des brocantes, sur les murs d'une chambre, dans les recoins de sa mémoire tous les trésors qui font les vrais voyages. Les tenir bien au chaud dans la main, les admirer quand on le veut. Se réjouir de vivre si fort avec si peu de choses. Les textes courts de Philippe Delerm nous enchantent. Un grand auteur classique et familier qui nous connaît mieux que nous-mêmes.
« Les faits. Le peu qu'on en a su pendant des mois. Ce qu'on a cru savoir. Les rumeurs, les récits. Sur ce meurtre, longtemps, l'unique certitude fut la météo. Ce samedi-là, il a fait beau. Dans les commerces et sur les parkings des hypermarchés, on pointait le ciel, on parlait d'été indien. Certains avaient ressorti leur bermuda et leurs tongs. Ils projetaient d'organiser des barbecues dans leur jardin.
L'agresseur, a-t-on assuré, s'est introduit dans la maison de l'impasse en plein jour. On ignore à quelle heure. Pour trancher, il faudrait disposer du rapport du policier qui a dirigé les investigations. Malheureusement, quatorze mois après les faits, il ne l'a toujours pas rendu ».
Face à l'opacité de ce fait divers qui l'a touchée de près - peut-être l'oeuvre d'un serial killer -, Irène Frain a reconstitué l'envers d'une ville de la banlieue ordinaire. Pour conjurer le silence de sa famille, mais aussi réparer ce que la justice a ignoré. Un crime sans importance est un récit taillé comme du cristal, qui mêle l'intime et le social dans des pages tour à tour éblouissantes, drôles ou poignantes.
Et si notre civilisation s'effondrait ? Non pas dans plusieurs siècles, mais de notre vivant. Loin des prédictions Maya et autres eschatologies millénaristes, un nombre croissant d'auteurs, de scienti?ques et d'institutions annoncent la ?n de la civilisation industrielle telle qu'elle s'est constituée depuis plus de deux siècles. Que faut-il penser de ces sombres prédictions ? Pourquoi est-il devenu si dif?cile d'éviter un tel scénario ?
Dans ce livre, Pablo Servigne et Raphaël Stevens décortiquent les ressorts d'un possible effondrement et proposent un tour d'horizon interdisciplinaire de ce sujet - fort inconfortable - qu'ils nomment la « collapsologie ». En mettant des mots sur des intuitions partagées par beaucoup d'entre nous, ce livre redonne de l'intelligibilité aux phénomènes de « crises » que nous vivons, et surtout, redonne du sens à notre époque. Car aujourd'hui, l'utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. L'effondrement est l'horizon de notre génération, c'est le début de son avenir. Qu'y aura-t-il après ? Tout cela reste à penser, à imaginer, et à vivre.
Postface d'Yves Cochet, ancien ministre de l'Environnement et président de l'Institut Momentum.
Et si vous vous réveilliez un beau matin en ne sachant rien de votre propre vie ?
Cape Cod, Massachusetts. Écrivain mondialement célèbre, Randall Hamilton se réveille dans la chambre d'un hôtel luxueux avec vue sur l'océan. Le problème, c'est qu'il ignore totalement pourquoi il s'y trouve et comment même il est arrivé là. Pire, il semble avoir tout oublié de sa propre existence, y compris le fait qu'il est l'auteur de plus de quarante romans.
Boston, Massachusetts. Vivant de petits boulots, le jeune Andy Marzano passe tout son temps libre à écrire des romans dans son studio. La tête pleine de rêves de gloire et de reconnaissance, il collectionne surtout les lettres de refus des agents littéraires. Conscient de son cruel manque d'inspiration, Andy s'ingénie à piller la vie de son entourage. Mais un jour il franchit la ligne rouge en séduisant une jeune comédienne, Abigaël, dans le seul but de se nourrir de leur relation et de servir son ambition. En voulant diriger les autres comme de simples personnages, il s'apprête à provoquer des drames irréparables...
Un auteur couronné de succès, un apprenti écrivain miné par les échecs : les deux hommes ignorent tout l'un de l'autre. Pourtant, leurs destins sont inexorablement liés et leurs routes ne tarderont pas à se croiser. Pour le meilleur, et surtout pour le pire.
Avec ce dixième livre, Valentin Musso nous dévoile un roman à la construction diabolique et au dénouement vertigineux.
Solange est une jeune femme mal dans sa peau, taraudée par un problème d'enfance, un doute qu'elle n'a jamais eu le courage d'éclaircir. Ce malaise, profondément refoulé, l'a amenée à rompre avec sa famille, non sans en éprouver une sourde culpabilité dont elle fait injustement payer le prix à son charmant mari...
Au détour d'un voyage à Nîmes organisé avec ses collègues de travail, Solange rencontre, au pied des arènes de la ville, une fabuleuse clocharde qu'elle est persuadée avoir connue brillante et libre femme d'affaires alors qu'elle-même était adolescente. Commence alors pour Solange, guidée par un mystérieux instinct, en compagnie de cette femme hors norme et de deux compagnons bateleurs, des « seigneurs de la rue », une aventure humaine et folle de trois jours qui va bousculer sa vision du monde et changer le cours de sa vie.
Porté par des personnages aussi attachants que surprenants, le nouveau roman d'Anny Duperey est l'histoire d'une rédemption inattendue - une psychanalyse sauvage en forme de conte !
Anny Duperey est comédienne de théâtre et actrice de cinéma. Elle est l'auteur, au Seuil, de romans à succès, dont Le Nez de Mazarin, L'Admiroir (couronné par l'Académie française), Allons voir plus loin, veux-tu ?, Une soirée, et d'ouvrages plus autobiographiques comme Le Voile noir, Je vous écris, Les Chats de hasard, Le Poil et la Plume ou encore Le Rêve de ma mère.
Disons-le d'emblée : aucun pays n'a inventé de système parfait permettant de lutter contre le racisme et les discriminations. L'enjeu est d'imaginer un nouveau modèle, transnational et universaliste, qui replace la politique antidiscriminatoire dans le cadre plus général d'une politique sociale et économique à visée égalitaire et universelle, et qui assume la réalité du racisme et des discriminations - pour se donner les moyens de les mesurer et de les corriger, sans pour autant figer les identités, qui sont toujours plurielles et multiples.
« Trois mois. D'après maman, ça fait précisément trois mois aujourd'hui qu'on est enterrés dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j'ai quitté l'école Jacques-Prévert de Sarcelles. ».
R. B.
Fabien est un petit garçon heureux qui aime, le football, la poésie et ses copains, jusqu'au jour où ses parents rejoignent la Syrie. Ce roman poignant et d'une grande humanité raconte le cauchemar éveillé d'un enfant lucide, courageux et aimant qui va affronter l'horreur.
S'abîmer Absence Adorable Affirmation Altération Angoisse Annulation Ascèse Atopos Attente Cacher Casés Catastrophe Circonscrire Coeur Comblement Compassion Comprendre Conduite Connivence Contacts Contingences Corps Déclaration Dédicace Démons Dépendance Dépense Déréalité Drame Ecorché Ecrire Errance Etreinte Exil Fâcheux Fading Fautes Fête Fou Gêne Gradiva Habit Identification Image Inconnaissable Induction Informateur Insupportable Issues Jalousie Je-t-aime Langueur Lettre Loquèle Magie Monstrueux Mutisme Nuages Nuit Objets Obscène Pleurer Potin Pourquoi Ravissement Regretté Rencontre Retentissement Réveil Scène Seul Signes Souvenir Suicide Tel Tendresse Union Vérité Vouloir-saisir.
De livre en livre, Ivan Jablonka ouvre des voies nouvelles. Avec une audace et une créativité peu communes, il invente ses sujets et ses formes. Après Laëtitia, après En camping-car, il explore sa « garçonnité » dans les années 1970-1980, s'interrogeant sur le « nous-garçons » et les frontières incertaines entre masculin et féminin.
De sa famille au service militaire en passant par l'école, il raconte sa formation au fil d'une enquête souvent poignante, parfois drôle - toujours passionnante - où beaucoup pourront se reconnaître. Car cette « autobiographie de genre » dévoile une intimité à la fois individuelle, sociale et politique : l'histoire d'une génération. Avec une honnêteté troublante, Ivan Jablonka analyse le « malaise dans le masculin » qui fut le sien, restituant le vif et l'éclat de l'enfance dans ses enthousiasmes, ses émois et ses peines.
Ce [...] livre est parti d'une idée assez monstrueuse, mais, je pense, assez exaltante.
J'ai choisi, à Paris, douze lieux, des rues, des places, des carrefours, liés à des souvenirs, à des événements ou à des moments importants de mon existence. Chaque mois, je décris deux de ces lieux ; une première fois, sur place (dans un café ou dans la rue même) je décris « ce que je vois » de la manière la plus neutre possible, j'énumère les magasins, quelques détails d'architecture, quelques micro-événements (une voiture de pompiers qui passe, une dame qui attache son chien avant d'entrer dans une charcuterie, un déménagement, des affiches, des gens, etc.) ; une deuxième fois, n'importe où (chez moi, au café, au bureau) je décris le lieu de mémoire, j'évoque les souvenirs qui lui sont liés, les gens que j'y ai connus, etc. Chaque texte [...] est, une fois terminé, enfermé dans une enveloppe que je cachette à la cire. Au bout d'un an, j'aurai décrit chacun de mes lieux deux fois, une fois sur le mode du souvenir, une fois sur place en description réelle. Je recommence ainsi pendant douze ans [...].
J'ai commencé en janvier 1969 ; j'aurai fini en décembre 1980 ! j'ouvrirai alors les 288 enveloppes cachetées [...]. Je n'ai pas une idée très claire du résultat final, mais je pense qu'on y verra tout à la fois le vieillissement des lieux, le vieillissement de mon écriture, le vieillissement de mes souvenirs : le temps retrouvé se confond avec le temps perdu ; le temps s'accroche à ce projet, en constitue la structure et la contrainte ; le livre n'est plus restitution d'un temps passé, mais mesure du temps qui s'écoule ; le temps de l'écriture, qui était jusqu'à présent un temps pour rien, un temps mort, que l'on feignait d'ignorer ou que l'on ne restituait qu'arbitrairement (L'Emploi du temps), qui restait toujours à côté du livre (même chez Proust), deviendra ici l'axe essentiel.
Je n'ai pas encore de titre pour ce projet ; ce pourrait être Loci Soli (ou Soli Loci) ou, plus simplement, Lieux.
Georges Perec.
Extrait de « Lettre à Maurice Nadeau » du 7 juillet 1969, dans Je suis né, Seuil, « La Librairie du XXe siècle », 1990.