Livre « à part », comme Nietzsche le nomma lui-même. Dans Ainsi parlait Zarathoustra apparaissent pour la première fois des thèmes comme la volonté de puissance ou le surhomme. Ces idées comptent au nombre de celles qui ont le plus fortement marqué la pensée contemporaine. « Lorsque Zarathoustra fut âgé de trente ans, il quitta son pays, et le lac de son pays, et il s'en fut dans la montagne. Là jouit de son esprit et de sa solitude et dix années n'en fut las. Mais à la fin son coeur changea, -et un matin, avec l'aurore, il se leva, face au soleil s'avança... », Friedrich Nietzsche.
Au mois d'août 1876, le Palais des festivals de Bayreuth est inauguré. C'est la première fois que L'Anneau du Nibelung de Wagner est donné dans son intégralité. Nietzsche est présent. Le mois précédent paraissait la quatrième de ses Considérations inactuelles, consacrée au compositeur. Soudain, au beau milieu des cérémonies officielles, Nietzsche est victime d'un réveil brutal : «Où étais-je donc? Je ne reconnaissais rien, c'est à peine si je reconnaissais Wagner lui-même», écrira-t-il. Lheure est venue pour lui de s'affranchir de la figure tutélaire de Wagner. Mais la période qui s'ouvre alors est celle d'une plus vaste libération. Nietzsche s'éloigne aussi de la discipline dans laquelle il s'était illustré jusqu'ici : la philologie. Désormais il écrira en philosophe - et en «fugitif errant» plutôt qu'en professeur. Car, en arrière-fond, il y a le spectre de la maladie, qui progresse inexorablement. Elle l'oblige, en 1878, à renoncer aux cours qu'il donne au lycée, puis l'année suivante à démissionner de l'université de Bâle.
Les ouvrages rassemblés dans le présent volume, et publiés dans des traductions révisées, couvrent les années 1878-1882. Il s'agit moins d'une période intermédiaire, comme on l'a dit parfois, que d'une période décisive au cours de laquelle Nietzsche énonce les fondements de sa philosophie. Humain, trop humain (1878) est, à ses yeux, le «monument commémoratif de la crise» de 1876. Suivent immédiatement deux livres Opinions et sentences mêlées (1879) et Le Voyageur et son ombre (1880), qu'il réunira en 1886 pour former le second tome d'Humain, trop humain. En 1880 et 1881, séjournant à Venise, à Marienbad, ou encore à Gênes, il rédige Aurore (1881). Ce texte est l'un des plus méconnus de Nietzsche. Méconnaissance parfaitement injustifiée, car «c'est par ce livre, dira-t-il, que s'ouvre [sa] campagne contre la morale.» Enfin, il publie l'année suivante Le Gai Savoir (1882), dont une édition augmentée paraîtra cinq ans plus tard. Ce livre est pour lui «la victoire sur l'hiver», l'ouvrage de la santé (provisoirement) recouvrée.
Humain, trop humain marque un tournant dans le style de Nietzsche. Abandonnant le désir d'être «persuasif», il opte en effet pour une forme à laquelle il se tiendra : celle de l'aphorisme. La nécessité de proposer une oeuvre construite à partir de fragments découle pour lui de sa conception du langage selon laquelle «chaque mot est un préjugé». Mais, avec Humain, trop humain, Nietzsche ne se contente pas d'explorer un nouveau type d'écriture, il donne à sa pensée une orientation nouvelle : travailler à l'élaboration d'une «philosophie historienne». Aurore et Le Gai Savoir exploreront cette voie, procédant, en conséquence, à une profonde critique des valeurs. Cest dans ces deux derniers ouvrages, enfin, qu'émergent deux éléments capitaux de la philosophie nietzschéenne : la volonté de puissance, cette notion qui a prêté à de nombreux malentendus, et l'éternel retour.
Nietzsche entre à la Pléiade. Ce premier volume rassemble les ouvrages publiés durant ce qu'on a appelé par commodité la «première période» de son activité (1872-1876) : La Naissance de la tragédie et les quatre Considérations inactuelles. S'y ajoutent un ensemble de textes (1870-1873) qui ne figure dans aucune autre édition des OEuvres de Nietzsche (à l'exception des OEuvres philosophiques complètes publiées chez Gallimard) : les articles ou conférences du jeune professeur de philologie à l'université de Bâle, les Cinq préfaces à cinq livres qui n'ont pas été écrits, offertes à Cosima Wagner pour Noël 1872, La Philosophie à l'époque tragique des Grecs, écho des travaux sur les philosophes préplatoniciens qui fournirent à Nietzsche le sujet de ses cours en 1872, et d'autres essais qui témoignent de la diversité des intérêts du philosophe à l'état naissant. Le volume se referme sur un choix d'écrits de jeunesse : pour la première fois, des cahiers de notes du jeune Nietzsche sont publiés tels qu'ils se présentent dans le manuscrit ; Démocrite, Kant, Emerson, Schopenhauer traversent ces pages, qui révèlent maints projets de livres demeurés sans suite directe. Un Nietzsche posthume, donc, à côté du célébrissime auteur de la Naissance et des Considérations. Mais Nietzsche lui-même n'affirmait-il pas, en 1888, dans les derniers mois de sa vie consciente, que sa véritable naissance serait posthume ?
Cette nouvelle édition revue par Marc B. de Launay remplace l'édition en deux volumes de 1968
Ce livre quasi mythique, qui passe pour le couronnement de l'oeuvre de nietzsche, a connu plusieurs versions en allemand, car son auteur n'avait fait qu'en esquisser différents plans de 1885 à 1888.
La première traduction française, due à henri albert et fondée sur la version allemande de 1901, est parue au mercure de france. elle comporte seulement quelque cinq cents aphorismes. la présente version, élaborée par friedrich würzbach, est beaucoup plus étendue, et c'est à elle qu'on s'est référé en france, depuis 1935. les aphorismes qui y sont rassemblés couvrent une période très large : des premières réflexions de nietzsche sur la nature du sentiment et du désir, contemporaines d'aurore et du gai savoir, jusqu'aux derniers livres de la fin 1888, l'antéchrist et le crépuscule des idoles qui sont l'aboutissement du projet de " conversion de toutes les valeurs ".
Présentation du traducteur
Ce livre quasi mythique, qui passe pour le couronnement de l'oeuvre de nietzsche, a connu plusieurs versions en allemand, car son auteur n'avait fait qu'en esquisser différents plans de 1885 à 1888.
La première traduction française, due à henri albert et fondée sur la version allemande de 1901, est parue au mercure de france. elle comporte seulement quelque cinq cents aphorismes. la présente version, élaborée par friedrich würzbach, est beaucoup plus étendue, et c'est à elle qu'on s'est référé en france, depuis 1935. les aphorismes qui y sont rassemblés couvrent une période très large : des premières réflexions de nietzche sur la nature du sentiment et du désir, contemporaines d'aurore et du gai savoir, jusqu'aux derniers livres de la fin 1888, l'antechrist et le crepuscule des idoles qui sont l'aboutissement du projet de " conversion de toutes les valeurs ".
Les années 1885-1886, dans la correspondance de Nietzsche, seraient-elles des années de transition? L'affaire Lou von Salomé, cette cruelle illusion, semble surmontée. Franz Liszt meurt à Bayreuth, le temps paraît venu d'une réévaluation de Wagner. Une page se tourne.
Nietzsche semble avoir trouvé un rythme vital qui lui convient, alternant les séjours l'été dans l'Engadine et les hivers sur la Riviera. Mais la maladie demeure toujours présente, les crises se succèdent, et les yeux, notamment, le torturent, faisant de chaque ligne écrite sur la plus modeste des cartes postales une épreuve surmontée.
Nietzsche souffre surtout d'une irrémédiable solitude, une solitude d'après la mort de Dieu, une solitude destructrice et les brouillons de certaines lettres font déjà deviner les craquements ultérieurs. Dans sa quête émouvante d'une communauté d'esprits libres il cherche toujours des amis, des disciples, des héritiers, mais que de déceptions! Aussi n'a-t-il qu'un nombre limité de correspondants, ce qui donne à ces échanges une intensité dramatique rare.
Et pourtant, malgré la misère de sa vie quotidienne, malgré les déceptions, Nietzsche poursuit son oeuvre, avec le livre IV de Ainsi parlait Zarathoustra, Par-delà bien et mal, des rééditions. On suit ses démêlés avec les éditeurs, ses efforts pour publier, à compte d'auteur, alors même qu'il devient peu à peu une célébrité, un penseur qui commence à être reconnu en Europe. La «transvaluation de toutes les valeurs» se poursuit dans l'ombre.
Dans les petites occasions, dans les grandes circonstances, que vous vous apprêtiez à arroser votre géranium ou à vous lier pour la vie par un serment d'amour-toujours, nietzsche est un commentateur qui ne vous abandonne pas.
Il s'échine à bien vous équiper pour la journée, il vous offre le petit noir du matin et la camomille du soir, il vous munit d'un livre comme d'un paquetage de campagne oú il a glissé ce qui stimulera votre esprit et tranquillisera votre âme. et c'est bien ainsi que vous l'ouvrez en cheminant, intéressé et désinvolte à la fois, en laissant au vent le soin de désigner le fragment qui vous fait soudain marquer le pas et la page.
Mais le livre refermé, vous ne trouverez " plus rien d'habituel ".
Dans ce volume sont traduits les fragments posthumes de la période qui va de l'automne 1884 à l'automne 1885. Ces fragments étaient jusqu'ici partiellement connus par la publication en 1901 et 1906 de deux compliations portant le titre:La Volonté de puissance. Essai d'une inversion de toutes les valeurs. Des fragments rédigés entre 1883 et 1888 s'y trouvaient ordonnés, au mépris de toute chronologie, selon un parti pris de systématisation arbitraire. Ces «montages» prétendaient restituer une oeuvre à laquelle Nietzsche avait en réalité renoncé. L'édition de 1901 fut traduite en français par Henri Albert en 1903. Il n'y eut de cette traduction qu'un seul tirage. Il en résulte que seule est familière au public français, depuis des décennies, sous le même titre tout à fait abusif de Volonté de puissance, une troisième compilation, beaucoup plus arbitraire encore que les deux premières, celle de Friedrich Würzbach, publiée d'abord en France en 1935, et seulement en 1940 en Allemagne. Le présent tome XI contient les fragments projets, plans et titres notés par Nietzsche dans le temps où il achève la rédaction de la quatrième partie du Zarathoustra, et où il écrit des projets de réélaboration d'oeuvres antérieures, notamment Humain, trop humain. On y trouve aussi des essais d'élaboration d'une Volonté de puissance. C'est en effet à la fin de l'été et pendant l'automne 1885 que la Volonté de puissance apparaît pour la première fois dans les cahiers de Nitezsche comme titre d'une oeuvre capitale.
Zarathoustra est une figure indéniablement théâtrale. En adaptant le fameux texte de Nietzsche pour la scène, Jean-Louis Barrault s'approprie entièrement le personnage, dont il assumera le rôle lui-même. Il voit dans le penseur allemand un poète antique, s'enthousiasme pour ce «livre à part» - comme son auteur le nomma lui-même -, la vivacité de sa langue et la profondeur de sa pensée, imaginant et donnant vie à un Zarathoustra solaire, méditerranéen.
Se référant au théâtre grec, Barrault oppose Zarathoustra au choeur, le solitaire à la multitude. Il crée deux rôles, complémentaires, symétriques, exprimant la dualité du personnage : «maladif», angoissé, torturé, Zarathoustra 1 parle ; sain, puissant, «de grande santé», Zarathoustra 2 chante. Conscient de la difficulté à prononcer ce texte, le comédien choisit de collaborer avec Georges-Arthur Goldschmidt, auteur de la traduction la plus récente, qui donne à la pièce une voix décidément contemporaine.
Créée en novembre 1974 au Théâtre d'Orsay, avec une musique de Pierre Boulez, l'adaptation de cette oeuvre magistrale fut l'occasion pour Jean-Louis Barrault de concevoir une mise en scène dans l'esprit d'un théâtre total, associant tous les arts de la scène.
L'édition critique française des Oeuvres complètes de Friedrich Nietzsche, établie d'après les manuscrits originaux de l'auteur et comprenant une part de textes inédits, est placée sous la responsabilité de Gilles Deleuze et Maurice de Gandillac
Les fragments posthumes de Nietzsche étaient jusqu'ici partiellement connus par la publication en 1901 et 1906 de deux compilations portant le titre:La Volonté de puissance. Essai d'une inversion de toutes les valeurs. Des fragments rédigés entre 1883 et 1888 s'y trouvèrent ordonnés au mépris de toute chronologie, selon un parti pris de systématisation arbitraire. Ces «montages» prétendaient restituer une oeuvre à laquelle Nietzsche avait en réalité renoncé. L'édition de 1901 fut traduite en français par Henri Albert en 1903. Il n'y eut de cette traduction qu'un seul tirage. Il en résulte que seule est familière au public français, depuis des décennies, sous le même titre tout à fait abusif de Volonté de puissance, une troisième compilation, beaucoup plus arbitraire encore que les deux premières, celle de Friedrich Würzbach, publiée d'abord en France en 1935, et seulement en 1940 en Allemagne. Les fragments posthumes de l'automne 1882 au début de janvier 1889, dont une part considérable est restée jusqu'ici inédite, sont publiés intégralement et selon l'ordre chronologique dans les tomes IX à XIV de la présente édition. Le présent volume contient tous les fragments notés par Nietzsche de mars à l'automne 1884, c'est-à-dire pendant les mois qui font immédiatement suite à la publication du troisième Zarathoustra, avec lequel Nietzsche, à ce moment, considérait, on le sait, son poème comme achevé.
Édition revue, corrigée et augmentée par Marc B. de Launay en 1982
Ce troisième volume de la correspondance de Nietzsche couvre la période qui va de janvier 1875 à décembre 1879 : cinq années décisives, intenses et douloureuses, marquées par la maladie, la découverte de l'Italie, la rupture avec Wagner et la publication des aphorismes libérateurs et lucides d'Humain, trop humain. Pareille évolution aurait-elle été possible, cependant, sans la présence de plus en plus marquée dans la vie de Nietzsche d'une maladie aux causes obscures, mais sans cesse plus cruelle, qui oblige Nietzsche à renoncer progressivement à son enseignement de la littérature grecque à Bâle et à chercher sans relâche le climat le moins défavorable à sa santé, dans une quête qui le conduira notamment dans l'Oberland et en Engadine ? La découverte de l'Italie lors du séjour à Sorrente, grâce à la sollicitude maternelle de Malwida von Meysenbug, dans l'hiver 1876-1877, constitue une sorte de parenthèse lumineuse et amicale, riche en lectures et en réflexions communes qui trouveront un écho dans les notations d'Humain, trop humain. Mais cette période charnière est dominée par les effets terribles de la rupture avec Wagner : si Nietzsche analyse encore avec enthousiasme l'oeuvre et les projets du musicien dans " Richard Wagner à Bayreuth " (1876), la dernière des Considérations inactuelles, la déception que suscite le festival cette même année constitue un des grands tournants de la vie et de la pensée de Nietzsche, désormais penseur libre, indépendant, souverain. Mais aussi solitaire. Quelques amis seulement l'entourent et le drame intellectuel de première grandeur qui se déroule au fil de cette correspondance est d'autant plus bouleversant que nous le voyons se jouer dans un tout petit cercle : le fidèle Overbeck ; Paul Rée, le libre penseur ; le musicien Köselitz, " Peter Gast " ; la douce et délicate Marie Baumgartner, sa première traductrice ; le distingué Carl von Gersdorff ; Malwida von Meysenbug, " l'idéaliste " ; Elisabeth Nietzsche, qui n'est encore à cette époque qu'une soeur aimante qui songe au mariage pour elle et pour son frère. Enrichie par des extraits des lettres de ses correspondants, la correspondance de Nietzsche, arrachée le plus souvent à des moments de terrible souffrance, brille pourtant de tout son talent de styliste ; plus que jamais, même quand elle fait entendre une longue plainte, sa voix est portée par une étrange énergie, l'expression d'une confiance : la conviction d'être un penseur d'exception. Celui du " gai savoir " à venir.
«Dans ce volume sont réunis Par-delà bien et mal et La Généalogie de la morale. La traduction suit le texte des éditions faites par Nietzsche lui-même chez Naumann en 1886 et 1887. Nous ne nous sommes écartés de ce texte de base qu'en de très rares cas:corrections portées par Nietzsche sur les épreuves et dont l'imprimeur n'a pas tenu compte, fautes d'impression manifestes, corrections imposées par la lecture des manuscrits destinés à l'impression. Le texte de ces deux ouvrages est accompagné d'un appareil critique pour la rédaction duquel nous avons utilisé un très abondant matériel inédit. Il s'agit d'une série de travaux préparatoires, de variantes, d'ébauches dont nous rendons compte exhaustivement dans l'édition allemande. Nous ne pouvions songer à utiliser la totalité de ce travail critique dans la présente édition française:on ne trouvera donc dans nos Notes que les variantes ayant un intérêt certain.» (Note des éditeurs)
L'édition française de la Correspondance comporte seulement les lettres de Nietzsche, mais chaque section s'accompagne de notes qui exploitent abondamment le matériel recueilli par les éditeurs allemands de l'édition critique de la Correspondance générale de Nietzsche, qui rassemble également les lettres à et sur Nietzsche. Dans les deux premiers tomes, on voit comment le jeune Nietzsche, écolier à Pforta, étudiant à Bonn et à Leipzig, jeune professeur à Bâle, se dégage progressivement de l'atmosphère familiale, de la routine philologique, puis de la double fascination de Schopenhauer et de Wagner, avec quelle lucidité il juge déjà les événements et les êtres, avec quel courage il tient tête à la maladie et s'efforce de devenir lui-même.